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Soleil de Plomb : trois décennies d’amants maudits des guerres de Yougoslavie (critique)

Soleil de Plomb- trois décennies d'amants maudits des guerres de Yougoslavie

Prix du jury dans la section "Un certain regard" à Cannes, Soleil de Plomb parle d'une guerre encore récente, celle des Balkans. C'est du point de vue d'amoureux torturés que le spectateur la vit, dans une conception audacieuse balayant trente ans de l'histoire slave.

Il y a mille manières de raconter la guerre. Dalibor Matanic a choisi de le faire à travers des histoires d’amour. Avec un scénario original : en trente ans, trois pauses dans le temps, à dix ans d’intervalle. La première est en 1991. A chaque fois, on retrouve deux amoureux, joués par Tihana Lazovic et Goran Marcovic. Mêmes acteurs, personnages différents. Un triptyque dont l’enjeu est de démontrer les dégâts sociaux et comportementaux causés par la guerre avant, pendant et après le conflit.

Trois couples séparés par le plomb

1991. Jelena et Ivan profitent du soleil au bord d’un lac. Ils sont jeunes, amoureux, insouciants. Couchés dans les blés, la voix cachée par le tintamarre des grillons, ils font des plans secrets. Leur préféré? Partir loin de leurs proches, qui désapprouvent leur idylle. Les relations entre Croates et Serbes sont de plus en plus acerbes. Très vite, la tension atteint son paroxysme. Le soleil devient insupportable. Le chant des grillons, grave. La première balle de plomb tombe, et ça y’est : leur destin est détruit à jamais.

2001. Natasa et sa mère, deux Croates, reviennent dans leur maison d’avant la guerre qu’elles retrouvent complètement délabrée. Les grillons ont laissé place à un calme lugubre. Les regards lourds des deux femmes en disent long sur les proches qu’elles ont dû enterrer. Ante, un jeune homme Serbe, vient s’occuper de la rénovation. Tandis que sa mère fait des efforts pour être agréable, Natasa entretient une haine instinctive envers lui. Elle l’ignore. Et quand elle lui parle, c’est pour lui signifier qu’elle le hait, qu’elle veut qu’il parte au plus vite. Après tout, il est du camp de ceux qui ont tué son frère. Pourtant, plus elle lui manifeste sa haine, plus il devient évident qu’au fond, Ante lui plait. En résultera une fin dans les larmes, sous un soleil qui n’a pas bougé, qui semble les narguer de ses rayons lumineux.

2011. Née pendant ou après la guerre, une nouvelle génération a pris place. Les tensions entre ethnies sont toujours palpables. Le nouveau son de fond, c’est la musique techno. Déroutés, les jeunes se réfugient dans des raves sans limites où drogues et alcool sont leur quotidien. Parmi ces jeunes, Luka, qui est de passage au village. En fin de soirée, il quitte sans un mot son groupe d’amis. Il a une visite un peu spéciale à faire, dans une froide maison de son passé. Derrière la porte, la femme qu’il a aimée et leur fils. Si son cœur l’a conduit ici, des barrières prennent à nouveau le dessus : la rancoeur rend leur réconciliation impossible.

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La force des choses qu’on ne voit pas

Toute l’intensité du film résulte de sa subtilité. Le scénario est aussi pudique que les personnages, dignes dans la douleur : peu de mots. Peu de dates. Toujours le même lieu. Mais des regards lourds, des cris, des pleurs qui semblent si réels que toute notre âme en est secouée. De l’amour, de la haine, à la frontière toujours si mince. On devine tout. On devine le combat, que Dalibor Matanic ne montre pas. On sent que le cœur est lourd comme du plomb, et que ce soleil qui se fiche des morts est insoutenable, étouffant, écrasant. Soleil de plomb met surtout une chose en évidence : une guerre, ce n’est pas qu’un conflit armé délimité par des dates politiques, comme 14-18, comme 39-45. C’est une mauvaise herbe ayant pris racine des années plus tôt, et qui laissera longtemps la trace de son passage.

Ecrit par Mandi Heshmati

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