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Le viol, un crime laissé-pour-compte

Sur la route du crime poursuivait, jeudi 11 avril, son analyse des tueurs en série dans une séance inédite autour du viol

Jeudi 11 avril, aux Voûtes de Paris, la question des tueurs en série et du viol était abordée par Dahina Le Guennan, victime de Michel Fourniret, Jean-Pierre Escarfail, président de l’Association pour la Protection contre les Agressions et les Crimes Sexuels (APACS), et Stéphane Bourgoin.

Pour avoir une idée du viol en France, Jean-Pierre Escarfail explique qu’il faut partir des enquêtes de victimation faites tous les deux ans. Ce sondage est réalisé auprès de 15 000 personnes de plus de 18 ans, à qui l’on pose des questions pour savoir si elles ont subi une agression physique ou sexuelle. Grâce à cette enquête, il a été établi que 75 000 femmes sont violées chaque année en France. Mais en réalité, selon le président de l’APACS, il s’agirait plutôt de 150 000 personnes concernées… Non pas 200 par jour mais 400. La violence démarre très tôt, explique M. Escarfail. C’est l’éducation qui permet de fixer des limites. Malheureusement, il y a des familles où l’enfant ne peut pas être élevé correctement donc dans ce cas, il rentre dans un système de violence. Il faudrait qu’on en ait conscience dans nos écoles.

Une justice bien maigre

Les plaintes (de l’ordre de 10 000 par an en France), ne sont pas toujours bien reçues et aboutissent très souvent à un non-lieu. Si aujourd’hui, les policiers sont mieux formés à recueillir la parole des victimes, il reste encore de nombreuses erreurs commises. On dénombre 3000 procès en cours d’assises par an, dont la moitié concerne les viols. 1500 sont condamnés, et la moitié seulement écope de plus de dix ans de réclusion criminelle. Stéphane Bourgoin annonce qu’en France, 80 à 90% des tribunaux sont concernés par les crimes sexuels, mais seuls 1% des violeurs sont condamnés au pénal. Et pourtant, au sein de tous les pays européens, la France est le pays qui condamne le plus lourdement ces crimes sexuels. Le spécialiste ajoute, gravement, qu’en Afrique du Sud, 60% des femmes sont violées au moins une fois dans leur vie.

Quand le viol devient un simple « attentat à la pudeur »

Dahina Le Guennan prend la parole pour raconter son histoire. Quand elle croise la route de Michel Fourniret en 1982, elle a 14 ans. Le tueur en série l’enlève et la viole. A l’époque, les associations de victimes n’existent pas. Dahina annonce le drame à sa mère, qui l’emmène immédiatement à la gendarmerie. Deux ans plus tard, Fourniret est enfin arrêté. Quand elle se retrouve face à son agresseur, la jeune fille est pétrifiée. On m’a dit que je ne m’étais pas vraiment débattue, lâche-t-elle avec amertume. Le viol de Dahina est requalifié en « attentat à la pudeur », et l’acte d’enlèvement n’est même pas retenu.

Dahina fera trois tentatives de suicide tant elle se sentira délaissée par la justice. Son violeur écope de seulement cinq ans de prison dont deux avec sursis et trois de mise à l’épreuve. Libéré, il tue Isabelle Laville deux mois plus tard, après avoir rencontré Monique Olivier. Dahina culpabilise. La vraie dépression, je l’ai faite quand j’ai appris que Fourniret était soupçonné de meurtre. Je lui avais promis de ne pas porter plainte quand j’ai claqué sa porte. Donc quand j’ai appris que cette fois il avait tué, je me suis dit que c’était de ma faute. La jeune femme déplore le traitement des victimes dans le système judiciaire : C’est un des seuls crimes pour lesquels on enquête sur la victime. Vous pouvez rigoler avec un type dans un bar sans avoir envie de vous faire violer après. Seulement on vous dira que vous n’avez pas dit non, que vous étiez trop proche de cet homme et que c’est de votre faute.

Survivre après le viol

Une participante du débat s’interroge sur la reconstruction sociale des victimes. Toutes ces femmes ont perdu leur job après le viol. Ça déstabilise tellement qu’elles s’auto-mutilent socialement, affirme M. Escarfail, pour qui le facteur numéro 1 pour s’en sortir reste l’aide de la famille. Le psychologue coûte trop cher et n’est pas remboursé. Après le viol, le phénomène de « sidération » (semblable à un état de paralysie chez la victime) peut céder la place à une véritable conduite à risque : drogue, alcool, prostitution, ces comportements dangereux sont liés, pour Dahina, au regard qu’elles portent sur elles. Et pour se soigner, encore faut-il en avoir les moyens. Dahina explique qu’elle n’a pas 50 euros à mettre dans une séance chez un psy. Pour elle, la mise en place de vraies thérapies serait un bon moyen de soigner le traumatisme des victimes.

Jean-Pierre Escarfail dénonce à son tour le fonctionnement des institutions en France. Le Canada est plus en avance que nous en terme de criminalité. Là-bas, l’évaluation de la dangerosité du criminel se fait à partir d’une grille. L’individu ne sort pas s’il est considéré comme dangereux, même s’il a purgé l’entièreté de sa peine. Pour Jean-Pierre Escarfail, en France, le principal dysfonctionnement réside dans la différence entre le privé et le service public. Le drame, c’est qu’en France on a des services publics mal gérés. Une boîte mal gérée elle disparaît en 5 ans, là ça dure depuis 100 ans !. Quant à la question du soin, le président de l’APACS est formel : Se soigner après le crime ? C’est bidon. Ils n’ont pas du tout envie de se faire soigner donc entre la loi et son application il y a un hiatus. On devrait s’occuper un peu plus de la réinsertion des victimes plutôt que de celle d’agresseurs qui, dans leur grande majorité, ne peuvent pas se réinsérer. Mais pour Dahina, le problème va encore plus loin que cela. La jeune femme affirme que c’est tout le regard qu’il y a sur les femmes qu’il faudrait changer. Le chemin est encore long.

Lauren Clerc

Retrouvez l’intégralité du dossier consacré à l’événement « Sur la route du crime » à ce lien.

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